Comment trouver 1 million de paysan·nes d’ici 2030 ? Comment bien nourrir la population française, sans produits de synthèse et en prenant soin des écosystèmes ? Au-delà d’une installation massive de paysannes et de paysans, il nous semble urgent de trouver des voies d’implication citoyenne dans la production alimentaire. C’est justement l’intention de Gartencoop. En mai 2022, nous sommes allées à Fribourg en Brisgau, à leur rencontre.
A Gartencoop en Allemagne, les 300 foyers coopérateurices sont impliqués dans la vie de la ferme aux côtés des salarié·es maraîcher·es. Quand nous avons découvert ce projet, il a très vite résonné avec l’esprit du Quart Temps Paysan, qui doit permettre à des salarié.es de réduire leur temps de travail pour aller une journée par semaine dans une ferme.
A l’origine du projet de Gartencoop, il y a l’envie et le besoin de transformer un engagement politique et altermondialiste (d’inspiration zapatiste, le mouvement des « Sans Terres » [2] ) en militantisme de terrain couplée à l’intention de « redonner à la vallée du Rhin son rôle productif », (autour de Fribourg, on est passé de 400 fermes maraîchères au siècle dernier à une trentaine aujourd’hui) pour alimenter les habitant.es de la ville avec des légumes de qualité.
Façonner des modèles agricoles ouverts
La ferme coopérative de Gartencoop réunit aujourd’hui 300 membres qui investissent du temps – en moyenne 5 demi-journées par an – et de l’argent selon leurs moyens -, pour produire collectivement les légumes qu’ils et elles trouveront ensuite chaque semaine dans leur point de collecte. La ferme n’est donc plus seulement un support qui « fournit des légumes ». Elle est une préoccupation commune entre les coopérateur·ices, qui participent financièrement et concrètement à la vie du projet, et les maraicher·es qui apportent leur savoir-faire. La ligne entre fournisseur et consommateur·ice s’efface car les prix des légumes ne dépendent plus de ceux du marché ; il y a solidarité autour du besoin alimentaire.
« A Gartencoop on amène les gens à participer à la production agricole. On leur propose de sortir d’un rôle de « consommateur » pour aller vers un hybride entre producteurs et consommateurs… des « pro-sommateurs » ? » nous explique Luciano.
Luciano
La rencontre fondatrice entre « les gens de la ville et ceux de l’agriculture » à l’origine du projet constitue encore aujourd’hui l’identité de Gartencoop. Les coopérateur·ices font confiance aux maraicheres pour l’organisation des cultures, le choix des investissements, et ces dernières se reposent sur les « gens de la ville » pour trouver suffisamment de foyers à qui fournir les paniers et venir prêter main-forte au projet. » L’aide des coopérateurices est très importante, ils et elles gèrent par exemple toute la logistique des paniers« , rappelle Anne, une des sept maraichères.
Partager les visions autour de l’agriculture
L’exemple de Gartencoop montre également comment ce décloisonnement est possible, en action, dans les champs. En effet, les maraîchères accueillent deux jours par semaine entre 3 et 15 personnes. Et il ne s’agit pas de laisser les apprenti·es-maraicher·es perdu·es dans les champs : la journée commence avec un temps d’accueil à 8h, un briefing sur l’organisation de la journée, suivie d’une distribution de matériel et d’une répartition sur les différentes activités (récolte, désherbage, plantation…).
Sur chaque parcelle, les maraîchères gardent un œil attentif sur le déroulé des opérations, tout en glissant des explications sur les méthodes culturales, des petits conseils sur les postures… « Parfois, on oublie que ce n’est pas leur métier, que c’est normal qu’ils ne pensent pas à tout » s’amuse une des maraichères. «Pourtant, quand on accueille des bénévoles, il faut savoir s’adapter. Il y a des jours où on va très vite, d’autres jours beaucoup moins, c’est dur de savoir à quoi s’attendre ». Évidemment, les coopérateur·ices bénévoles n’ont pas la même aisance que les maraîcher·es formé·es au métier. Ils sont travailleurs social, étudiant.e.s, ou encore prof, kiné, et le plus souvent, connaissent peu le monde agricole. Ils viennent à la ferme sur leur jours de repos. C’est alors une joyeuse confrontation de rythmes, mais aussi de cultures professionnelles qui s’opère. « Même si on se plaint parfois parce qu’ils sont lents, on râle quand ils ne viennent pas. Sans eux la ferme ne pourrait pas exister !«
Ce matin à la ferme, c’est « éclaircissage de carottes » et Anne la maraichère nous explique qu’il « ne faut pas hésiter à en enlever ». Mathias, coopérateur, raconte qu’au début, il trouvait difficile de jeter ces carottes en devenir car il avait impression de gaspiller. Il avait même tenté d’en repiquer chez lui, sans succès. Pas facile de faire le grand saut entre jardinage et maraîchage professionnel !
Cet accueil, riche en partage, reconfigure aussi le métier de maraîchère : « Je dois être patiente rappelle Anne, « Il faut s’adapter aux différents profils entre ceux qui viennent souvent à qui je peux donner des responsabilités et les « nouveaux » ». Accueillir, c’est une compétence à part entière, qui n’appartient pas au répertoire du maraîcher professionnel classique. A Gartencoop, c’est un aspect qui attire d’autres profils et notamment des personnes en reconversion (anciennes travailleuses sociale, par exemple, rodées à l’accompagnement) et cela ouvre le monde agricole à d’autres visions de l’agriculture.
Participer à la production alimentaire, quel intérêt pour les coopérateur·ices ?
Mais alors qu’est-ce qui amène ces urbains à braver les kilomètres, en train, puis en vélo, pour arriver à Gartencoop à 8h sur leurs jours de congés ? Pour Tobias, qui est venu pour la première fois, c’est l’envie de « se mettre concrètement en mouvement, en touchant à la terre, en complémentarité de [son] engagement pour l’écologie sur le campus [de son école] ». Greta, quant à elle, a délibérément choisi une activité à temps partiel pour avoir le temps de venir régulièrement à la ferme. Reconnexion à la terre, nouveaux apprentissages, prolongement sur le terrain d’un engagement politique, les raisons sont multiples mais les coopérateur·ices présent·s ce matin-là s’accordent sur le bien-être que leur procure cette respiration dans la semaine. « En m’installant à Fribourg, je cherchais vraiment une ferme pour faire du maraîchage : habitant en ville, ça contribue à mon équilibre de vie » nous raconte Amrei, qui pendant plusieurs années est venue tous les mercredis et les week-end. « Je l’avais inscrit dans mon agenda, ça faisait partie de ma semaine ». Aujourd’hui, son rythme professionnel ne le lui permet plus, et c’est ce que déplore une des maraîchères de Gartencoop : « On ne peut pas s’attendre de personnes qui travaillent qu’elles viennent régulièrement et sur le long terme, c’est pour ça que votre projet pourrait être intéressant !
Créer des emplois tout en accueillant des bénévoles : c’est possible !
L’expérience de Gartencoop, qui roule depuis 9 ans, avec ses 6 salarié·s à temps partiel qui travaillent 4 jours par semaine [3] , montre qu’accueillir des bénévoles au cœur de la production est tout à fait compatible avec la création d’emplois. Anne insiste sur le fait que l’équipe maraichère ne compte pas sur les bénévoles pour organiser les productions. Concrètement, ce sont en moyenne 5-6 personnes qui viennent les mercredi et jeudi, jours d’accueil des coopérateur·ices. Force est de constater que les volontaires sont heureux de venir « *donner un coup de main* », mais ils.elles ne cherchent pas forcément à prendre d’avantage de responsabilité dans la ferme « C’est agréable de ne pas avoir cette pression-là, quand on a un travail à côté, ça soulage », nous dit Amrei. De son côté, Anne, salariée depuis 3 ans, nous explique que « certes, [son] travail est dur, mais il a beaucoup de sens. Car non seulement je connais les personnes qui mangent les légumes, mais en plus elles viennent mettre les mains dans la terre et suer avec moi et ça, ça donne un sens complètement différent à ce que je fais. C’est pour ça que je suis là ». Finalement, tout le monde s’y retrouve !
Cette visite à Gartencoop nous a permis de réaliser qu’une ferme ouverte et accueillante peut créer des emplois dignes et émancipateurs tout en facilitant la participation volontaire du plus grand nombre. D’ailleurs, l’idée du Quart Temps Paysan semble pertinente pour Anne et Luciano. Pour Anne, il est évident qu’il faudrait permettre aux gens de réduire leur temps de travail pour qu’ils puissent venir régulièrement aider sur la ferme.
Cela nous conforte dans l’idée de poursuivre le projet pour réinsuffluer du sens et apporter le soutien vital dont ont besoin les paysan·nes. Alors, c’est parti pour l’utopie ?
[2] Le Movimento dos Trabalhadores Rurais Sem Terra (MST, Mouvement des travailleurs ruraux sans terre) ou Mouvement des sans-terre est une organisation populaire brésilienne qui milite pour que les paysan·nes brésilien·nes ayant été expulsés de leur terre, disposent de terrains pour pouvoir cultive
[3] En Allemagne un contrat de travail à temps plein représente 40h hebdomadaires.