Gartencoop, une ferme autogérée par des paysan·nes et des citadin·es

Depuis 10 ans de l’autre côté du Rhin, une coopérative autogérée produit des légumes bio pour près de 900 personnes qui participent activement à la production et la distribution des légumes, aux côtés des maraîcher·es salarié·es. Nous sommes allées à leur rencontre.

« Fessenheim abschalten! » [Stop fessenheim] L’autocollant est bien en évidence à l’entrée de la ferme. Il nous rappelle la proximité avec la frontière française et la centrale nucléaire aujourd’hui à l’arrêt. On est à quelques kilomètres au Sud de Fribourg-en-Brisgau, dans ce qui était auparavant le lit du Rhin. Au milieu des champs de culture industrielle de fraises, d’asperges, de tabac et de semences hybrides, Gartencoop est un îlot de résistance où on cultive le faire-ensemble autant que la biodiversité.

8h sonnent, nous nous rassemblons tous.tes dans la cour de la ferme pour le cercle d’accueil. Après un petit échauffement et un tour de présentation, Sélina, l’une des salarié·es nous explique le déroulé de la journée. Au programme : désherbage, récolte et préparation des paniers, qui seront distribués aux coopérateur·ices l’après-midi. Une quinzaine de personnes sont présentes aujourd’hui. Des salarié·es, des coopérateur·ices, et quelques curieux·ses venues de Fribourg pour découvrir la ferme. La journée s’annonce chaude. Des chapeaux, de la crème solaire et de l’eau sont à notre disposition dans la grange bien ordonnée. On s’équipe tous·tes d’un couteau, et on enfourche un vélo direction désherbage des panais.

Dans le hangar sont minutieusement rangés, gants, chapeaux, chaussures de sécurité et protections en cas de pluie, qui sont mis à disposition des coopérateur·ices

La ferme s’étend sur 8 hectares, sur plusieurs parcelles un peu éparpillées autour du corps de ferme. Ce qui nous frappe, c’est l’organisation minutieuse et l’accueil très bien pensé. » Une organisation indispensable pour accueillir toutes les personnes qui passent sur la ferme chaque semaine », nous explique Anne, l’une des salariées de la coopérative. En effet, Gartencoop est une ferme communautaire coopérative qui fonctionne grâce à ses 300 membres coopérateur·ices qui sont invité·es à participer de façon régulière aux activités de la ferme, au champ ou à la ville. Tous les mercredi et jeudi, la ferme est ouverte aux coopérateur·ices qui souhaitent venir donner un coup de main.

Des contre-sommets à la ferme coopérative, l’histoire de Gartencoop

L’idée de Gartencoop a émergé d’un petit groupe de personnes actives dans les mouvements altermondialistes. Parmi eux, Luciano, qui nous raconte : » Dans les années 2005-2010, au sein du mouvement altermondialiste, on organisait beaucoup de contre-sommets. C’était comme d’énormes feux d’artifices, on avait une bonne visibilité mondiale, mais à la fin, il restait très peu de choses. Et quand on demandait à la Via Campesina [ndlr : un mouvement international qui coordonne des organisations de petits paysan·nes, de travailleurs agricoles, de fermes rurales et de communautés indigènes] quelle était la meilleure forme de solidarité avec eux, ils nous disaient : « Créez vos propres structures ! ». Pour Luciano, ça a fait tilt !
Alors en 2010, avec un groupe d’ami·es, il file à Genève découvrir une coopérative qui développait un projet similaire depuis 1978.

Finalement, c’est la synergie entre des militant·es de la « ville » et des maraîcher·es qui a permis de concrétiser le projet. « Les maraîcher·es y ont cru d’emblée. Il leur fallait de la terre et de l’eau ». Notre mission à nous – les gens de la ville – c’était de trouver 300 foyers… et de l’argent ! C’est grâce à cette confiance mutuelle qu’on a pu lancer le projet » nous explique Luciano, le sourire aux lèvres. Cette confiance leur a donné raison. Les premières réunions d’information sont un succès. Le projet démarre très vite. Les premiers légumes sont semés au printemps 2011. 10 ans plus tard, Gartencoop alimente 300 foyers sur toute l’année avec plus de 70 cultures différentes à partir de semences paysannes.

Plusieurs coopératrices désherbent les panais à l’aide d’un petit outil

Dans cette ferme sans chef, les 300 coopérateur·ices sont au cœur du projet !

A l’heure du déjeuner, après avoir désherbé les carottes et les panais, on se retrouve tous.tes autour d’un délicieux repas préparé par deux coopérateur·ices avec les légumes de la ferme. Luciano, nous explique le fonctionnement de Gartencoop. « Les 300 coopérateur·ices sont au cœur du projet. » En effet, comme dans une AMAP, ces dernier·es s’engagent à acheter un panier de légumes chaque semaine, payé à l’avance en début d’année. Avec une différence toutefois, les paniers de légumes sont à prix libre, ce qui signifie que chaque foyer paye en fonction de ses capacités financières. Les coopérateur·ices s’investissent aussi pleinement dans le fonctionnement de la ferme, en participant aux activités de Gartencoop à hauteur de 5 demi-journées par an, dans les champs et pour la distribution des légumes à Fribourg.

Luciano, l’un des membres fondateurs de Gartencoop nous explique le fonctionnement de la ferme

A Gartencoop, il n’y a ni chef·fe ni chef·fe d’entreprise. Grâce au soutien financier et humain de ses 300 foyers membres, la coopérative garantit un emploi à 7 personnes (6 maraîcher.es et un mécanicien) qui travaillent 4 jours par semaine pour assurer les tâches quotidiennes de la ferme en autogestion. Autrement dit, de manière horizontale et collective. Les responsabilités sont partagées et tournent régulièrement. C’est le cas des tâches dites « reproductives » comme la cuisine ou le ménage ; les travaux avec le tracteur et la logistique ; l’accueil des coopérateurices, ou encore l’organisation des cultures. Depuis peu, ils et elles expérimentent même le salaire au besoin.

 » La ferme appartient à ses coopérateur·ices »

Enfin, certain·es coopérateur·ices sont impliquées bénévolement dans différents groupes de travail de gestion de l’administratif ou des ressources humaines.

En plus de cette organisation entre les salarié·es, Luciano insiste sur le fait que « c’est la communauté dans son ensemble qui a la responsabilité de la ferme ». La ferme appartient à ses coopérateur·ices. A son entrée dans la coopérative, chaque foyer prend une part sociale de 400€, qui constitue une part du capital de la ferme, récupérable à tout moment. C’est grâce à cet emprunt à ses membres que la ferme a pu s’équiper en matériel agricole. Mais le projet se veut inclusif : « Si un foyer ne peut pas débourser 400€, on s’adapte ». Ainsi, toutes les responsabilités mais aussi les risques sont partagé.es entre paysan·nes salarié.es et citoyen.nes engagé.es.

Les coopérateur·ices livrent les légumes dans les différents points de retrait à travers la ville (photo : gartencoop.org)

L’après-midi, deux coopératrices filent à Fribourg emmener les légumes qui sont ensuite livrés en vélo-cargo dans 17 points de retraits gérés en autonomie par des coopérateur·ices. Au point de retrait de Christine, Les légumes sont nichés dans une cabane en bois au fond du jardin d’une petite chapelle. Ils peuvent être récupérés par les membres en libre-service pendant 3 jours après leur dépôt. Le contenu du panier est imprimé sur une feuille avec les légumes et les poids correspondants. A l’aide de la balance solaire, Christine pèse les épinards avec soin : « c’est important pour ne pas léser les suivant·es ! »

10 ans après les premiers semis, la coopérative nourrit environ 900 personnes. Aujourd’hui, L’objectif n’est pas de grandir, mais d’essaimer. Luciano rêve de voir ce genre de coopérative se multiplier sur le territoire pour recréer une ceinture maraîchère autour de la ville tout en impliquant le plus de monde possible dans la production. Dans le coin, d’autres initiatives comme Die Bäckerei der Vielfalt, ou encore Luzernenhof, qui a donné naissance à l’équivalent allemand de l’association Terre de Liens font exister l’agriculture solidaire.
Le prochain défi ? Sortir des cercles convaincus. Luciano l’admet volontiers « C’est vrai qu’on touche surtout des personnes de la classe moyenne. Il nous manque de la diversité sociale, c’est évident. A Fribourg, beaucoup de gens ne savent même pas qu’on existe. Le travail n’est jamais fini, mais la révolution de l’agriculture paysanne solidaire est en route !